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Christine Barbe

CB

JULIE CRENN
« ENCRAGES »
/ ENCRAGES

Julie Crenn. « Encrages ». 2018
Critique d’art (AICA) et commissaire d’exposition. Point Contemporain Magazine et livret éditions Galerie Eric Mouchet.

Vue de l’exposition Christine Barbe, Là-bas – Down There, Galerie Eric Mouchet, du 27 janvier au 10 mars 2018 © Rebecca Fanuele

C’est comme si l’homme était en train de se transformer volontairement en machine, de faire partie de ces camions et de ces excavateurs qui arrachent la surface de la Terre. Quand on les regarde, c’est comme si l’on voyait des dinosaures. Et l’on voit les hommes qui se mélangent à ces corps mécaniques de dinosaures et qui détruisent leur propre maison, leur propre terre.

Nancy Huston (2015)

Le parcours de Christine Barbe est rythmé de déplacements, entre les mediums, entre les villes, entre les continents. Elle navigue d’un territoire vers un autre à la recherche d’espaces inconnus à l’intérieur desquels elle va devoir prendre le risque de s’encrer. J’emploie sciemment ce verbe, s’ancrer, un verbe que l’artiste formule plusieurs fois lors de notre première conversation. Un verbe, qui, étant donné sa formation artistique, trouve une signification éclairante. Si aujourd’hui elle ne la pratique plus en tant que telle, Christine Barbe s’est spécialisée dans la gravure : la taille, l’encrage, l’essuyage, les acides, le papier, le métal, la matrice, les gestes précis, le vernis. Au fil du temps et des déplacements, elle ouvre sa pratique à la peinture et à la vidéo. Les outils et les gestes qui déterminent ses œuvres peintes proviennent d’une inclination singulière pour la gravure. Tout commence par des prises de vues, dans un bois, une forêt, un paysage, un lieu inscrit dans une géographie précise, en Chine, en France, aux États-Unis, là où l’artiste vit et travaille, là où son corps étranger tente de s’encrer.

Les photographies sont modifiées, combinées, évidées, découpées. Elles constituent une matière que l’artiste travaille pour définir des éléments de composition : un amas de pierres couvertes de mousse verte, un chemin de boue marqué par le passage d’un tractopelle, une serre abandonnée, un tuyau de plastique enraciné dans la terre, un champ de pylônes électriques, etc. La surface de la toile est partiellement imprimée des éléments photographiques et de vides que Christine Barbe va inonder par le biais de techniques étonnantes. À l’huile ou l’acrylique , elle préfère les encres indélébiles, qu’elle applique au moyen de rouleaux en mousse ou en résine, de tarlatane et de chiffons. Ses outils sont ceux d’un.e graveur.se. Le pinceau intervient uniquement au moment du vernissage de l’œuvre. La photographie et les encres s’entremêlent, elles cohabitent pour donner lieu à des paysages baignés de couleurs à la fois réelles (verdâtre, brun, noir) et surréelles (vert, mauve, orange, bleu). Les vues soigneusement travaillées hybrident des éléments naturels, propres aux paysages observés, ainsi que des éléments signifiants une transformation du lieu par les humains. Christine Barbe saisit un espace en transition qui semble figé dans le temps. Les chantiers sont abandonnés, seules les traces résistent : un escalier en béton, un fragment de chemin de fer, un godet métallique échoué sur la terre, une architecture décharnée. En creux, l’artiste interroge l’espace naturel même. Les forêts aux alentours de son atelier ont fait l’objet de plantations et d’abatages successifs, de percées, elles sont aussi le résultat de constructions humaines.

Christine Barbe ne porte en aucun cas un regard émerveillé sur ces paysages. Bien au contraire, elle choisit de les photographier à des moments précis, de la fin de l’automne à l’hiver. Les arbres y sont dénudés, leur présence y est graphique et étrangement inquiétante. Les couleurs, les gestes et les lumières génèrent une nature contaminée, empoisonnée, irradiée, inhospitalière. Strate par strate, les œuvres manifestent non seulement des paysages mordus par la main humaine, mais aussi des espaces de projections rejoignant une recherche de territoires inconnus que l’artiste s’efforce de comprendre et à apprivoiser. « Mais l’étranger insiste, et fait intrusion. C’est cela qui n’est pas facile à recevoir, ni peut-être à concevoir… ». [1] Des territoires physiques et mentaux qui lui résistent et au sein desquels s’inscrivent nos peurs, nos fantasmes, nos imaginaires.

[1] NANCY, Jean-Luc. L’Intrus. Paris : Galilée, 2000-2010, p.12.

Julie Crenn pour Galerie Eric Mouchet © 2018

Vue de l’exposition Christine Barbe, Là-bas – Down There, Galerie Eric Mouchet, du 27 janvier au 10 mars 2018 © Rebecca Fanuele
Vue de l’exposition Christine Barbe, Là-bas – Down There, Galerie Eric Mouchet, du 27 janvier au 10 mars 2018 © Rebecca Fanuele
Vue de l’exposition Christine Barbe, Là-bas – Down There, Galerie Eric Mouchet, du 27 janvier au 10 mars 2018 © Rebecca Fanuele
Vue de l’exposition Christine Barbe, Là-bas – Down There, Galerie Eric Mouchet, du 27 janvier au 10 mars 2018 © Rebecca Fanuele

Julie Crenn. « Encrages ». 2018
Art critic (AICA) and curator. Point Contemporain Magazine and booklet editions Eric Mouchet Galery.

It’s as though people were lining up to become machines, to become one of those trucks or diggers that tear up the surface of the Earth. Observing them is like observing dinosaurs. Observing people straddling mechanical dinosaurs, destroying their own homes, their own land.

Nancy Huston (2015)


Christine Barbe’s career has been punctuated by shifts: between media, between cities, between continents. She moves across different spaces looking for unexplored places where with abandon she can “ink herself into her surroundings.” It’s the artist’s own choice of words, one that crops up several times in our first conversation and which I reproduce here deliberately. To ink oneself into one’s surroundings: a curious phrase that given her original specialisation is replete with meaning and significance. For although it no longer forms part of her active repertoire, Christine Barbe is a trained engraver: etching, inking, acids, paper, metal, matrices, precision, and lacquering are all part of her original skill-set. While her years of peregrination have seen her broaden her expression to encompass painting and video, the tools and gestures that define her painted works still clearly stem from an affinity for engraving. The process begins with the shooting of a scene – woodland, forest, landscape, a place of known geography – in China, France, the United States, wherever the artist happens to be living and working, wherever her foreignness seeks to ink itself into its surroundings.

The photographs are modified, merged, blurred, and cut into a raw material that she then works into elements of composition: a pile of stones covered in green moss, a muddy pathway scarred by the tracks of a digger, an abandoned greenhouse, a plastic pipe jutting out of the soil, a swarm of electric pylons, and so on. Photographic elements are printed onto canvas, interspersed with empty spaces filled by the artist using extraordinary techniques. She prefers indelible ink to oils or acrylics, applying it with sponge and resin rollers, tarlatan gauze, and cloth. Her tools are those of the engraver, a brush only appearing when the finished work is varnished. Photo and ink combine to create landscapes bathed in colours both real (green, brown, black) and surreal (green, mauve, orange, blue). These carefully crafted scenes mix natural landscape elements with elements of human transformation. Christine Barbe captures places in transition that seem frozen in time, abandoned sites where only remnants subsist: a concrete stairway, a fragment of railway, a metal container littering the ground, an abandoned building stripped to its structure, all giving indirect insight into the natural world. The forest plantations around her workshop have been harvested and replanted repeatedly, ploughed through with paths; they too are the result of human construction.

Her perception of these landscapes is by no means tinged with wonder. On the contrary: she times her photo shoots deliberately to coincide with late autumn and winter; trees are bare, of graphic and strangely troubling presence; her colours, strokes and light depict a natural world contaminated, toxic, irradiated, inhospitable. Layer upon layer, her works convey human-scarred landscapes wherein she projects her quest to comprehend and tame territories unknown. “But the outsider persists, and intrudes. And that is what is difficult to concede or even conceive of…” [1] Physical and mental spaces that push us out, yet offer a canvas for our fears, our fantasies, our imagination.

[1] NANCY, Jean-Luc. L’Intrus. Paris : Galilée, 2000-2010, p.12.

Julie Crenn for Eric Mouchet Galery © 2018