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Christine Barbe

CB

THIERRY HAY
« LES PAYSAGES MUTANTS DE CHRISTINE BARBE »
/ CHRISTINE BARBE Dreams of Rebellion

Thierry Hay. « Les paysages mutants de Christine Barbe ». FanceTV. Culture box. 2018

La galerie Eric Mouchet présente jusqu’au 10.03.2018, les surprenants paysages de Christine Barbe.

L’occasion de découvrir une artiste qui jongle avec différentes techniques et pose la question de la place de l’homme dans la nature.

Comme beaucoup de gens, Christine Barbe a quitté le monde urbain, pour vivre au plus près de la nature. Son atelier est désormais en lisière de la forêt de Fontainebleau. Hier, elle exposait des dessins dans des boîtes lumineuses, dans lesquelles elle apparaissait comme électrocutée. Une mise en danger pour exprimer une certaine difficulté à communiquer. Aujourd’hui, à la galerie Éric Mouchet, elle expose les paysages qui l’environnent, mais revus et corrigés à sa façon, très particulière. Les travaux de Christine Barbe ont fait l’objet de nombreuses expositions à travers le monde : Japon, États-Unis, Suisse, Chine. Je suis donc curieux de voir ses dernières œuvres. La galerie Mouchet se situe en plein cœur de Saint-Germain-des-Prés, quartier où, malheureusement de plus en plus de galeries préfèrent un art décoratif, facilement vendable, à de vraies créations d’artistes, et c’est bien dommage. Heureusement, ce n’est pas le cas de la galerie Mouchet, dont je pousse la porte. Tout de suite, j’aperçois une grande toile représentant une étrange forêt, poussant sur une terre bleue : curieux. Je pense aux toiles d’un artiste écossais que j’aime beaucoup : Peter Doigt. Et Christine Barbe me confirme avoir beaucoup regardé les paysages enneigés de ce peintre.

De l’importance de la technique chez Christine Barbe

Entre villes et continents, Christine Barbe a beaucoup voyagé. Elle a vécu dix ans aux Etats Unis. Au départ, l’artiste suit une formation de graveur, avant de prendre, un peu, ses distances et de trouver sa propre voie artistique. Avec le temps, elle met au point une technique singulière, en quatre temps. Premièrement, elle se rend dans une forêt, territoire magique, et prend une photo. Deuxièmement, elle retravaille, modifie la photographie et rajoute d’autres clichés, à l’aide d’un ordinateur. Troisièmement, elle imprime le tout sur une toile, en veillant à conserver des zones blanches. Quatrièmement, elle utilise des encres de couleurs et de nombreux solvants (formule qu’elle garde secrète), pour finaliser son tableau. Elle utilise souvent des outils de graveur, comme des rouleaux en mousse. Le pinceau, lui, n’intervient que dans la phase finale. Parfois, j’ai l’impression que la toile a été brûlée, c’est l’effet de certains produits chimiques. Mais l’artiste me révèle avoir été marquée par des images de dévastation par le feu. Tiens tiens…  Grâce à cette technique, par étapes, Christine Barbe obtient des paysages aux teintes surprenantes : violet, ocre, vert tendre ou bleu. Dans cette œuvre ci-dessous, arbres et lignes à haute tension se mélangent, comme si la forêt venait de subir un court-circuit, ou pire : une irradiation.

Lignes et traces

En regardant les tableaux de Barbe, je remarque que les arbres sont toujours dénudés. L’explication est simple : l’artiste photographie les forêts en automne ou en hiver. Les végétaux sans feuilles se résument à quelques lignes, ce qui est beaucoup plus graphique, et un peu plus inquiétant. Je note aussi, dans de nombreuses oeuvres, la présence d’une intervention humaine : un piquet, un tuyau qui sort du sol, un morceau métallique de tractopelle, comme si l’homme avait retourné la terre avant de l’abandonner subitement. Tout ceci contribue à donner une ambiance fascinante.

Destruction, construction

Il y a toujours une certaine ambiguïté dans le travail artistique de Christine Barbe, je ne sais pas trop si ce sont des paysages en cours de destruction, ou de construction. En réalité, ce sont toujours des moments de passage, de mutation, d’évolution, qui intéressent la créatrice. Elle a fait des études d’art et de cinéma. Et plus je regarde les tableaux, plus j’ai l’impression de voir des images arrêtées. Dans une œuvre précédente, l’artiste intervenait dans une vidéo, en remuant la tête en tous sens. Aujourd’hui, c’est la terre qu’elle bouscule de tous côtés, comme une archéologue affolée, à moins qu’elle ne souhaite s’ancrer dans ces paysages étonnants, et occuper une place au sein des différentes métamorphoses. La créatrice me précise. « La machine qui détruit la terre a une fonction double : elle détruit, mais elle révèle aussi un monde souterrain très vivant, les racines, les insectes ». C’est donc aussi cette vie souterraine que veut mettre en lumière la photographe. La nature, bien que façonnée, manipulée par l’homme, bouge sans cesse. L’artiste est très sensible à ces changements. En fait, Christine Barbe regarde avant tout autour d’elle, le lieu où elle habite a subi de nombreuses déforestations et travaux, ceci explique aussi cela.

Un ogre métallique

J’aperçois un grand tableau, dans lequel le bras d’une tractopelle occupe tout le centre de la toile, comme un robot venu construire un nouveau monde. Devant, un piquet vert fluo est enterré, entouré de deux branches mortes. Au second plan, une lumière irréelle illumine une terre sableuse. Tout est possible : la vie comme la mort.

Nostalgie

Avec la même technique, Christine Barbe travaille aussi sur papier. La galerie en expose une petite série. Ce sont des architectures vides, rongées par le feu et empreintes d’une grande nostalgie. L’effet de transparence est encore plus fort que dans les grandes toiles.

Absence

Ici, le bâtiment semble avoir été victime d’un séisme. Le grand bassin est vide, la verrière est ouverte, tout cela semble un peu étrange. Je pense à cette phrase de l’humoriste Pierre Dac : « Il n’y a rien de plus difficile à consoler qu’un paysage désolé »…

La voie

Dans ce tableau, je vois les restes d’une singulière voie ferrée. Elle forme une diagonale sur toute la toile. Je retrouve encore les mêmes éléments : traces d’une intervention humaine, arbres morts, terre retournée, mousse, tuyaux, tranchées, sans oublier une grosse dose de nostalgie. Tout le vocabulaire graphique de Christine Barbe est là. A partir d’un vrai paysage, l’artiste nous plonge dans un grand bain d’incertitude et de mélancolie. Chaque visiteur peut se demander, en regardant ces œuvres, quel est le rôle exact de l’homme dans cette nature apocalyptique.

Je suis heureux d’avoir vu cette exposition, la créatrice réussit avec brio le mariage entre photographie et encre, les deux dialoguant ensemble. Les espaces proposés par l’artiste semblent subir une métamorphose, que Christine Barbe aurait soudainement figée sous nos yeux. Ceci dit, je crois que face aux paysages de cette photographe-peintre, il ne faut pas raisonner, mais ressentir.

Galerie Eric Mouchet : 45 rue Jacob, 75006 Paris
Du mardi au samedi de 11h à 13h et de 14h à 19h