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Christine Barbe

CB

ANNE KERNER
« CHRISTINE BARBE, L’INSOUMISE »
/ Insubordinate Christine Barbe

Anne Kerner. « Christine Barbe, l’insoumise ». 2015
Journaliste et critique d’art (AICA). Catalogue « Ligne de Flottaison ». Editions Galerie Eric Mouchet.

« Toute son œuvre n’est qu’un exercice ». Christine Barbe le sait et ne sait que cela. Elle cherche, depuis son enfance de Grenoble à Paris, lors de ses séjours à New York ou Asilah, et au cours de ses nombreux voyages. Elle a quitté la ville et questionne aujourd’hui les murs blancs de son nouvel atelier enfoui dans la nature. Oser éprouver. Oser l’émotion et se laisser envahir. Frôler le danger et braver le risque. C’est ainsi que Christine Barbe prend possession de son art et creuse le sens de sa vie comme des nôtres, incise l’âme et ébranle le corps. Chaque œuvre demeure une épreuve, presque une discipline de l’épreuve. Pour ses vidéos, ses photographies, ses peintures ou ses dessins, elle trouve le lieu, l’espace, le temps, air, terre ou eau, dans lesquels elle plonge vers l’origine de l’être. Exaltée, abattue, tourmentée ? Oscillation. Perpétuel et infernal balancement entre la résignée et l’insoumise. Accepter ? Désobéir ? Christine Barbe, sous une apparente séduction, se révolte, scrute les douleurs et les souffrances. Transfigurée par un besoin essentiel de liberté, elle illustre moins l’enfermement physique – d’origine politique ou sociétale – que l’enfermement individuel et identitaire. « Rêve de rébellion », titre-t-elle une série de photographies.

L’ombre de Michel Foucault plane autour de l’artiste comme sur plusieurs générations hantées désormais par ces mêmes fondamentaux, l’exil, l’exclusion, l’emprisonnement. Christine Barbe dresse avec autant de force que de subversion, avec autant d’émotions que de blessures, l’état chaotique de l’univers psychique de notre temps.

De cette œuvre de véracité, le langage même est mis en cause. Pour s’en saisir et le maîtriser, l’artiste prend possession de tout matériau qui s’offre à elle, autant qu’elle se laisse posséder. C’est un échange violent entre le corps et l’esprit, une expérience artistique radicale et fondamentale qu’elle explore dans toutes ses possibilités. Il faut la voir laisser aller le matériau pour mieux le contredire, le contrecarrer ; laver à grandes eaux les papiers et les toiles, lancer des mers de solvants… Christine Barbe, trop heureuse d’un dénouement qui s’annonce, se précipite encore plus vite pour l’anéantir. Elle commence et recommence sans cesse la même pratique. Construire. Détruire. Reconstruire… Encore et encore. Ce processus « d’aller-retour », binôme inaltérable au coeur de son œuvre, se réalise autour du corps même de l’artiste. S’obligeant à être le sujet de véritables performances, dans « L’attrait » elle flotte pour mieux se noyer dans une eau ophélienne, dans « I can’t do it without you » elle bande ses yeux et son visage scande l’espace pour se perdre dans un univers carcéral ; dans « I don’t know » elle secoue la tête jusqu’à l’épuisement. Partout le corps, son corps, est dénié, s’enfonçant dans l’obscurité, marqué dans sa chair. Des attaques liquides, des lacérations sans fin inscrivent les déchirures et les plaies sur tous les supports, comme le brasier enflamme l’âme de l’artiste. « Pour moi, disait le jeune Goethe, il ne saurait être question de bien finir ». Le combat de Christine Barbe, marqué au sceau d’une innommable beauté, traduit les séismes de l’être d’aujourd’hui. Insoumission.

Anne Kerner

Anne Kerner. « Insubordinate Christine Barbe ». 2015
Journalist and art critic (AICA). « Ligne de Flottaison » catalog. Editions Galerie Eric Mouchet.

“Her entire body of work is but an exercise”. Christine Barbe knows this, it is all she knows. She has been on a quest, since her childhood between Grenoble and Paris, during her times in New York or Asilah, on her many trips abroad. She has left the city and is now investigating the white walls of her new studio snuggled deep in nature. Dare experience. Dare emotion, let it submerge you. Brush with danger, take the risk. That is how Christine Barbe takes possession of her art and delves into the meaning of her life and of ours, cuts into the soul and rattles the body. Each work is a trial; her discipline could be putting herself to the proof. For her videos and her photographs, her paintings and her drawings she seeks out the location, the space, the time, the air, earth or water then dives in to find the origin of an existence. Exalted, disheartened, tormented? Oscillating. Perpetual, infernal mood swings from acceptance to insubordination. Accepting? Disobeying? Christine Barbe seemingly under some sort of charm rebels, and scrutinizes pain and sufferance. Transfigured by a vital need for freedom, she does not really embody physical entrapment — of political or societal origin — but rather that of the individual’s identity. “Rêve de rébellion” (dream of insubordination) is the title of a series of photographs. Michel Foucault’s shadow floats over the artist as it floats over several generations also haunted by the same fundamentals: exile, exclusion, imprisonment. Christine Barbe, with as much strength as subversion, with as many emotions as wounds, takes the measure of the chaotic state of our contemporary psyches.

Even the language of her work of veracity is under question. In order to seize and grapple with it the artist appropriates whatever materials are available to her, she might as well let herself be overcome. The exchange between body and soul is brutal, her artistic experiments radical, fundamental, she explores all their possibilities. It is quite something to see her let the medium takeover only to better contradict it and thwart it; to watch her abundantly rinse sheets of paper of canvases, splashing waves of solvent… Christine Barbe, delighted by the immanence of a conclusion, must hurry to obliterate it. Incessantly doing and undoing the same exercise. Constructing. Destroying. Reconstructing… Again and again. The “back and forth” process an inflexible duality at the heart of her work which is executed with the artist’s own body. She forces herself to become the subject of what are truely performances: in “L’attrait” (attraction) she floats so that she may drown more perfectly in the ‘Ophelian’ waters; in “I Can’t Do it Without You” she is blindfolded and with her face she scans the space to finally lose herself inside a closed world; in “I don’t Know” she shakes her head until exhaustion. On every occasion it is the body, her body, that is denied, disappearing into darkness, branded in the flesh. Liquid attacks, endless lacerations leave tears and wounds on each medium, just as the brazier ignites the artist’s soul. “In my case, young Goethe would say, no happy ending is possible”. Christine Barbe’s battle bears the stigma of unnameable beauty and translates the quakes that disrupt our contemporary existences.

Anne Kerner